Politique scolaire: le renoncement national…

Texte paru Dans Le Figaro le 6 décembre 2019

Les résultats de la dernière enquête PISA  évaluant  les performances des systèmes éducatifs des pays membres de l’OCDE  viennent d’être publiés. Une fois de plus, la France y fait figure de championne des inégalités sociales.  Lisons: « un élève issu de milieu défavorisé présente cinq fois plus de risques d’être en difficulté en compréhension de l’écrit qu’un camarade issu d’un milieu favorisé (…) Seuls 2 % des jeunes socialement défavorisés se trouvent parmi les élèves les plus performants, tandis que 20 % des jeunes favorisés atteignent de tels résultats ». Si l’on ajoute à cela que moins de 5% des élèves des Grandes écoles et des étudiants de Troisième cycle universitaire sont issus de milieux ouvriers, on aura compris que jamais, depuis la fin des années soixante, notre système éducatif n’a été aussi inégalitaire. Comment ne pas s’en indigner ? L’École française, en effet, ne se donne pas seulement pour mission d’instruire.. Elle se veut le creuset de la Nation, ce qui a determine, historiquement,  le développement d’un modèle scolaire méritocratique.  Que cet équilibre émancipateur vacille, et c’est tout l’édifice républicain qui s’en trouve   délégitimé. C’est d’ailleurs ce qui se produisit à la fin des années soixante   sous l’influence de Pierre Bourdieu qui  accusa notre système éducatif  de favoriser la reproduction des élites. Or, s’il est clair que le Lycée et l’Université, en 1969, restent fermés à double tour pour les jeunes issus des milieux défavorisés, force est de constater    que les politiques   menées depuis n’ont pas  tenu leur pari démocratique.

On ne dira jamais assez l’influence de cet intellectuel, en particulier sur la Réforme du Collège unique   mise en œuvre en 1974 sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing et sur la  Loi d’orientation de 1989 pilotée par Lionel Jospin. Dans les deux cas, un même postulat : la sélection   maquille une entreprise de   ségrégation socio-culturelle. Il n’est donc guère surprenant que, de réforme en réforme, nous ayons    progressivement neutralisé la plupart des dispositifs sélectifs et  entériné, en renforçant l’influence des  déterminismes socio-économiques, une sélection beaucoup moins équitable que celle que ces réformes ont ruinée ! Comble du paradoxe, si les bonnes consciences  démocratiques fustigent la sélection, chacun s’accorde   à reconnaître l’efficacité  des Grandes Écoles qui, en  sélectionnant les étudiantsau mérite, les inclinent à tirer le meilleur d’eux-mêmes. D’aucuns diront que ces filières sont aujourd’hui   confisquées par les élèves issus des milieux les plus favorisés. Mais sommes-nous   dupes de l’illusion qui nous fait prendre l’effet pour la cause qui le produit ? Les élèves issus des milieux défavorisés, c’est vrai, ont plus que jamais un accès problématique  aux   parcours de réussite et d’excellence. Mais cela s’explique  aisément. Car pour réaliser   l’objectif du plus grand nombre possible de bacheliers, il a bien fallu renoncer à les sélectionner, ce qui fut fait en disqualifiant les critères  de sélection accusés d’avantager les élèves issus des milieux les plus favorisés.  Dans cette affaire, les choses sont donc fâcheusement claires. C’est parce que nous avons renoncé à mettre en œuvre  la sélection la moins injuste qui soit, la sélection au mérite, que nous avons organisé la discrimination sociale qui s’est trop longtemps nourrie des faux-semblants du démocratisme.

Il est, en outre, à craindre, que le déclin de notre École ne soit pas seulement dû à l’abandon de la sélection. N’avons-nous pas aussi, assoiffés de « pédagogies nouvelles », sacrifié le principe de l’autorité ? De fait, est-il tellement étonnant que la France, comme le révèle l’enquête P.I.S.A. du 3 décembre,  soit l’un des trois pays (sur 79 !) dans lesquels les élèves se plaignent de problèmes de discipline au sein de la classe ? Car enfin, en quoi consiste cette pédagogie nouvelle elle-même enseignée aux futurs professeurs dans les INSPE[1]?La réponse est consternante. Quelle que soit la discipline, la forme de l’acte pédagogique serait la même et importerait davantage que son contenu, raison pour laquelle   on n’hésite pas aujourd’hui,  ce n’est pas une plaisanterie, à apprendre à  des   professeurs stagiaires de lettres ou de mathématiques comment enseigner à des élèves à faire des pâtisseries!  

                                                                                                                                                                  L’on dira que cette «  pédagogie nouvelle » tire sa légitimité du besoin d’adapter les pratiques scolaires à l’objectif de la démocratisation.   Là où le bât blesse, c’est qu’en mettant le savoir sur la touche,  cette pédagogie   a sapé les fondements même de l’enseignement, ce que la philosophe Hannah Arendt  a  très bien compris il y a cinquante ans déjà! Que les politiques françaises de l’éducation aient ignoré  ces analyses  a de quoi surprendre. Que montre Arendt dans La  crise de la culture[2]? D’abord, qu’en croyant libérer l’enfant de l’autorité des adultes en affirmant que ces derniers ne doivent pas le gouverner mais  lui laisser la  liberté  de se gouverner lui-même, le monde moderne  l’a en définitive aliéné à « une autorité plus bien effrayante : la tyrannie de la majorité ». Ensuite, que sous l’influence de la psychologie, la pédagogie s’est affranchie complètement de la matière à enseigner. “Est maintenant professeur, ajoute-t-elle, celui qui est capable… “d’enseigner n’importe quoi”. Or, comment un professeur dont on rogne la formation disciplinaire   pourrait-il  jouir de quelque autorité que ce soit si, n’ayant plus besoin de connaître sa propre discipline, il en sait à peine plus que ses élèves ? Et à quoi est-on en vérité parvenu en vidant l’acte pédagogique de son contenu  sinon à tarir la source de l’autorité qui fonde la confiance sans laquelle nulle transmission n’est possible ? 

         Les politiques scolaires pourront s’obstiner à disqualifier la sélection et l’autorité. Elles ne feront alors qu’entériner un renoncement qui, à l’heure où la Nation doit dépasser les divisions qui la menacent, ne peut qu’accroître les  inégalités et renforcer la défiance des Français vis-à-vis de l’État.


[1]Instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation.

[2]Ouvrage publié en 1961.

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