Le mariage à l’épreuve du « marché ».

Article paru dans La Croix en février 2012

Le 14 février 2012, jour de la Saint-Valentin,  l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) publiait une étude fort instructive sur la solitude et la vie de couple des Français. La très forte progression du nombre de personnes vivant seules   constituant la révélation majeure de cette enquête (elles étaient 6  millions en 1990, elles sont  9 millions aujourd’hui, soit une augmentation de 50%), nous risquerons ici quelques remarques. La première touche notre société qui a vu se développer un modèle d’organisation économique qu’on appelle « l’économie de marché », dans laquelle les contrats   sont motivés par l’intérêt propre des parties contractantes, chacune s’accommodant de l’égoïsme des autres pourvu qu’elle puisse retirer un bénéfice du contrat qui l’engage. Or, l’augmentation du nombre des célibataires, comme celle du nombre des divorces, s’inscrit probablement dans un processus d’évolution de la société, de transformation des mentalités, qui les dépasse. Car à force de pratiquer l’économie de marché, autrement dit de justifier le profit et l’égoïsme au nom de la liberté de l’individu et de son droit inaliénable au bonheur, il se pourrait bien que notre époque ait promu, non seulement un modèle économique, mais plus largement   une certaine idée des échanges et, finalement, de la société. De sorte que la logique du marché ne serait plus une logique cantonnée aux affaires publiques mais qui s’étend jusque dans la sphère la plus privée de notre vie. Disons le dès lors sans détour. Nous ne vivons plus dans une société à « économie de marché »: nous vivons dans la « société de marché ». Une société dans laquelle les égoïsmes s’affrontent mais dans laquelle aussi il leur arrive de s’accorder, faisant alors illusion aux yeux des plus naïfs pour qui le « mariage » des égoïsmes, pour ainsi dire par consentement mutuel, suffirait à les abolir !  

Il faut donc envisager l’élément principal de l’enquête menée par l’Insee dans son rapport à cette transformation de la société dans laquelle, désormais,  rien ne nous paraît plus naturel que de viser avant tout notre   bonheur égoïste. Il y a de plus en plus de personnes qui vivent seules, nous dit-on. Mais nous marions-nous aujourd’hui comme nous le faisions il y a encore quarante ans ?  Le nombre des divorces augmente lui aussi de façon régulière. Mais n’y a-t-il aucun lien entre ces deux derniers phénomènes ? Le second n’est-il que la conséquence des réformes du Droit de la famille ? Rien n’est moins certain. Pour le dire clairement, il est à craindre que sous l’effet du développement de l’individualisme  et de la diffusion de cette logique du marché, notre époque soit celle dans laquelle on ne se marie plus pour servir l’autre mais pour goûter un bien-être matrimonial auquel on suspend l’engagement vis-à-vis de l’époux. La société du marché a donc bien un enfant légitime : le mariage concupiscent, qu’on peut appeler aussi consumériste et qui explique pour partie l’augmentation du nombre des divorces. Car comment le mariage pourrait-il être solide s’il est, premièrement, motivé par le seul souci d’en retirer, tel un consommateur, de la satisfaction? Et comment pourrait-il être durable s’il est, deuxièmement,  suspendu à l’inconstance du désir et de la passion érigée, il est vrai, aujourd’hui en vertu? Nos contemporains hésitent plus longtemps  avant de se marier. Mais c’est aussi qu’ils divorcent plus souvent. Probablement parce qu’ils se marient mal. À moins que ce ne soit parce qu’ils ne se marient plus vraiment…

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