Propos recueillis le jeudi 25 juin 2009 à Paris par Claude Obadia pour la Revue Le Philosophoire (n° 32). Entretien reproduit ici avec l’aimable autorisation de Vincent Peillon
Le Philosophoire : Vincent Peillon, bonjour. Membre du Bureau national du Parti Socialiste,
député européen, votre intérêt pour la chose politique ne se limite pas à vos engagements.
Philosophe de formation, vous vous êtes intéressé à travers différents ouvrages à Maurice
Merleau-Ponty, à Jean Jaurès, à Pierre Leroux et, plus récemment, à la postérité de la
Révolution française. C’est sur ce point que je voudrais vous interroger d’abord. Pourriez-vous
nous expliquer quelle est selon vous la signification profonde de cet événement historique ?
Vincent Peillon : D’abord, je ne crois pas que ce soit un événement. J’ai retenu de Merleau-
Ponty l’idée qu’il y a des événements, c’est-à-dire une trame du temps, relativement continue,
dans laquelle vont se succéder un certain nombre de faits qu’on va appeler des événements. Et
puis de temps en temps, il y a l’ouverture d’un autre régime d’historicité, par un avènement.
Qu’est-ce que ça veut dire, un régime d’historicité ? Ça veut dire une autre façon de concevoir
son existence, le lien politique, la communauté humaine, le rapport à la mort, le rapport à la
vérité. De ce point de vue, j’ai le sentiment que la Révolution française inaugure une nouvelle
phase de notre histoire, en particulier un nouveau rapport entre le temporel et l’intemporel, entre
le religieux et le politique. Et se réorganisent totalement, à partir de la Révolution française, les
rapports de l’homme au monde et de l’homme à l’autre homme. Il s’agit ici non pas d’un
événement mais d’un avènement. Nous vivons, c’est pour cela que j’ai appelé ce livre La
Révolution française n’est pas terminée, dans un régime de pensée qui, bien entendu, se
préfigure un peu avant la Révolution française, mais qui est nouveau à partir de la Révolution.
Nous sommes encore dans ce temps-là qui n’a pas fini de produire tous ses effets. En
conséquence, notre responsabilité historique c’est d’abord de comprendre d’où l’on vient, et
c’est aussi de continuer à faire que ce temps puisse produire des effets. La Révolution française,
pour moi, c’est donc un avènement, et c’est un régime, régime de pensée, régime d’existence,
dans lequel nous sommes encore.
Le Ph. : En 1793, Saint-Just déclare : « le bonheur est une idée neuve en Europe » N’est-ce pas
cela, la naissance de la politique moderne, l’aspiration au bonheur comme chose publique ? Et
n’est-ce pas déjà, au fond, cette idée de la politique dont la démocratie athénienne a nourri
l’espoir avant de le trahir, provoquant le repli individualiste que reflètent les belles morales de
l’antiquité ?
V.P. : Je crois que ce qu’il faut retenir de l’idée grecque de la démocratie, qui est très éloignée de
notre idée de la démocratie, c’est essentiellement l’affirmation du lien entre la rationalité et la
démocratie, qui est la naissance même de la philosophie. Nous restons dans un régime où la
philosophie est essentielle. Elle a été essentielle, d’ailleurs, à la naissance de la République, et en
particulier de la Troisième. Ce lien très profond entre une forme de rationalité et une forme
d’organisation du pouvoir, voilà l’essentiel. Par contre, je ne pense pas que le Grec pose
politiquement la question de la liberté, en tout cas pas du tout au sens où nous la posons nous.
Cette question de la liberté, plutôt que du bonheur, est la question centrale du régime moderne
que représente précisément la Révolution française. Va advenir dans les temps modernes, et par
la Révolution, une double rupture à la fois morale et politique. Politique, c’est la conception
républicaine : « l’obéissance à la loi qu’on s’est prescrite est liberté ». C’est Rousseau, dans le
Contrat social, qui exprime le mieux cette idée. Et puis il y a la question morale, question qui est
liée, pour un Républicain, à la question politique de la liberté. De ce second point de vue, on peut
dire que c’est Kant, en tant que philosophe d’une morale de l’autonomie (chacun possède la
faculté de se fixer la règle de sa conduite), qui incarne le mieux le coeur philosophique de la
Révolution française. Pour moi, la question n’est donc pas tant la question du bonheur que la
question de la liberté et de la dignité humaine. Et aujourd’hui, les dérives de la société dans
laquelle nous sommes, et qui sont assez préoccupantes d’un point de vue philosophique, sont
précisément liées au retour de concepts mal pensés comme ceux du bonheur, de l’utilité, de la
joie, du plaisir, concepts autour desquels il est très difficile de construire une société, de régler
une communauté des hommes. C’est d’ailleurs à partir d’un dialogue critique avec l’utilitarisme
que se sont construites la conception républicaine et la pensée socialiste.
Le Ph. : Pour en revenir à cette formule de Saint-Just, la nouveauté qu’il invoque ne serait-elle
pas le produit historique et le reflet de ce qu’on a pu appeler la «dissipation des «arrièremondes
», bref le reflet d’une manière inédite de penser le bonheur : non plus comme ce qui est
révolu mais comme ce qu’il faut pouvoir réaliser ici-bas ?
V.P. : Je comprends mieux ce que voulez dire là. Je me méfie beaucoup de la notion de
bonheur. Je me méfie beaucoup de ceux qui ont pensé, ce qui est pour moi l’expression du
mauvais théologico-politique républicain, que la révélation, qui était d’origine, serait devant
nous : l’âge d’or nous attend. Nous sommes là conduits à quelque chose qui n’est pas la véritable
philosophie républicaine qui, elle, travaille sur une non-coïncidence de l’idée et du réel, donc qui
maintient toujours un écart, si vous voulez peut-être, dans le vocabulaire que vous voulez
employer, un malheur, une tristesse, une scissiparité, une détresse, un éloignement, une distance.
Car il y aurait un très grand danger à penser que nous allons pouvoir réaliser sur terre ce qui
relèverait précisément d’un au-delà. Rien de pire – à partir de la mort de Dieu – que les hommes
qui se prennent pour Dieu.
Le Ph. : Bien sûr. Vous avez raison. Abordons maintenant, si vous le voulez bien, une question
qui nous mettra en prise directe avec l’aujourd’hui. La dernière campagne présidentielle a vu se
répéter à l’envi le diagnostic d’une crise de la démocratie, et corrélativement d’une crise de la
représentation politique. Partagez-vous cette analyse ? Y a -t-il effectivement lieu de parler d’une
crise des partis politiques ? Et le cas échéant, comment l’expliquez-vous ?
V.P. : Il y a sans doute une crise des partis politiques, mais je pense que la crise est d’abord saine
et structurelle, que là encore le danger serait de penser qu’il peut y avoir une représentation pure
et donc qui nous donnerait accès aux représentés de façon adéquate et transparente. Puisqu’on
parlait de Rousseau tout à l’heure, il faut souligner qu’il est, lui, contre la démocratie
représentative. Il s’en explique fort bien parce qu’il dit « là où le représentant est, le représenté
n’est plus ». Cela ne se fait pas nécessairement tout de suite, mais il y a une forme d’usure où le
représentant, finalement, va finir par exercer sa représentation dans un intérêt qui n’est pas
nécessairement celui du représenté. Et donc cela nous oblige à la mise en place de contrepouvoirs.
Comme disait Alain, il n’y a pas de bon pouvoir. Et c’est la base même de la
démocratie politique. La bonne représentation, c’est celle qui se remet en permanence en
question. La vraie démocratie, c’est celle qui est à l’égard d’elle-même, en permanence, fragile,
inquiète, qui remet en question l’ensemble de l’organisation de ses pouvoirs, aménageant ellemême
sa propre contestation, sa propre inquiétude et ses propres recours. De ce point de vue-là,
je le prends à un niveau théorique, oui, nous vivons une crise de la représentation politique. Mais
elle n’est pas pire qu’à d’autres époques. Elle est plus consciente d’elle-même.
Le Ph. : Soit, mais est-ce là la seule raison de la désaffection contemporaine pour la chose
politique ? Entre « sortie de la religion », triomphe du capitalisme et faillite du communisme
historique, l’Europe n’est-elle pas aujourd’hui en peine de projet vraiment politique ? L’hyperindividualisme
triomphant est-il encore compatible avec la démocratie, conçue non plus comme
souveraineté de l’individu mais comme souveraineté du peuple ?
V.P. : Il y a plusieurs questions dans votre question. Sur la « sortie de la religion », je ne crois
pas que Marcel Gauchet pense que nous sommes sortis du religieux. Je crois que ce qui est
intéressant chez lui, c’est qu’il est plus attentif que d’autres aux nouveautés et aux ruptures, qu’il
cherche à comprendre la sécularisation et pense qu’il y a quelque chose de neuf qui se cherche
depuis la Révolution française. Et cela ne le gêne pas de dire que c’est du religieux, ou une autre
forme du religieux. Donc je dirai, je pense à son dialogue avec Luc Ferry, que ce qui est
intéressant c’est l’attention qu’il prête à ce qui serait vraiment une époque nouvelle, du point de
vue du droit, de la raison, liée à cette époque de la Révolution française. Sur l’Europe, on sort
d’une campagne européenne où j’ai eu beaucoup à parler d’Europe. Il y avait un grand projet
européen au sortir de la Deuxième guerre mondiale. Aujourd’hui, il y a une vraie crise du projet
européen. Il faut quand même un esprit public, cette idée d’une communauté de destins, de
valeurs partagées et d’une morale publique. Aujourd’hui, à vingt-sept, je ne crois pas qu’on ait
de projet commun. Entre l’idée de l’Europe qui est la mienne et l’idée d’un certain nombre de
députés ou d’autres citoyens d’autres pays européens, on se rend compte qu’on n’attend pas la
même chose de l’Europe, qu’on n’a pas la même vision, qu’on n’a pas la même compréhension.
Il y a une crise du projet européen. Parce que si on a cru, c’est un peu mon cas, que la
construction de l’Europe, qui est une idée philosophique, était le projet historique de la deuxième
moitié du XX° siècle et du XXI° siècle, mais que ça n’est pas le cas, alors quel est notre projet de
substitution ? Et là, nous sommes en panne. Est-ce que nous devons retourner dans l’espace
national ? Est-ce que nous allons directement à la dimension mondiale ? Est-ce qu’il faut rebâtir
patiemment cet esprit public européen ?
Le Ph. : Oui, c’est la question de savoir s’il y a encore aujourd’hui place, pour ainsi dire dans la
mentalité contemporaine, pour la démocratie…
V.P. : Ah oui. Très belle question…
Le Ph. : Pour la démocratie, donc, non plus comme souveraineté de l’individu mais comme
souveraineté du peuple ?
V.P. : C’est drôle que je n’aie pas retenu la question parce que je ne crois pas du tout à cette
lecture-là qui, au fond, est une lecture qui consiste à dire qu’il y aurait une régression
démocratique.
L. Ph. : Peut-être pas régression mais à tout le moins métamorphose. Car l’idée de l’Europe,
c’est tout de même l’idée de l’Universel, l’idée du cosmopolitisme, l’idée d’une étape de
l’établissement d’une véritable Société des Nations. Or, qui peut vraiment entendre cette idée
aujourd’hui ?
V.P. : C’est tout le paradoxe, et vous avez dit l’essentiel. Moi, je tiens quand même à l’idée que
la démocratie libérale, et je n’en connais pas d’autre, et qui est pour l’émancipation de l’individu,
et l’autonomie dont on parlait tout à l’heure, a une espèce de contradiction en elle-même, c’est
qu’elle peut conduire à l’individualisme qui peut être une pathologie de la démocratie. C’est
toute la tension qu’on trouve chez Tocqueville et qui fait que Tocqueville est toujours intéressant
à lire et à penser. Mais je ne vois pas de régression. Je vois plutôt un progrès séculaire dans le
progrès de l’individualisme (émancipation de la femme, reconnaissance des droits des
homosexuels, liberté d’expression). Nous sommes des professeurs de philosophie et nous
sommes d’une génération assez semblable dans laquelle il était quand même difficile il y a
trente ans, quand on avait la passion juvénile de lire, de trouver les textes, y compris les plus
classiques, La Politique d’Aristote, le Traité de la Nature humaine de Hume. Fallait trouver !
Aujourd’hui, tout cela est totalement accessible. Il y a quand même ici quelque chose de
fascinant, dans une espèce de progrès philosophique de la civilisation. Et en même temps, un
consumérisme, une difficulté au rapport critique, une inquiétude qu’on devrait avoir
profondément : c’est quoi une civilisation où l’écrit perd sa place ? Mais globalement, je n’en ai
pas une approche pessimiste. D’autant moins que je ne suis pas dans une sacralisation
rétrospective de la bonne République. Car la réalité, nous le savons, c’est que même la
République que j’aime, celle des principes, a toujours été élitiste, assez violente à l’égard des
différences.
L. Ph. : Nous évoquions, au début de notre entretien, vos travaux consacrés à la tradition du
socialisme républicain. Or, Dans La question religieuse et le socialisme, Jaurès écrit : « je ne
conçois pas une société sans une religion, c’est-à-dire sans des croyances communes qui relient
toutes les âmes en les rattachant à l’infini d’où elles procèdent et où elles vont ». Un peu plus
loin encore : « on peut dire aujourd’hui qu’il n’y a pas de religion, c’est-à-dire, en un sens
profond, pas de société ». Comment interprétez-vous ces formules ? Et si l’absence de société
exprime l’absence de religion, que faut-il en déduire en termes de restauration du lien social, et
donc en termes d’action politique?
V.P. : La question est lourde ! Il faudrait des livres entiers pour y répondre. Mais d’abord sur
Jaurès, vous avez raison de citer cette phrase, qui montre l’écart entre l’image que les gens ont de
Jaurès et ce qu’il écrivait vraiment. Ensuite, que dit-il sinon quelque chose de simple ? En fait, il
dit deux choses. La première est acceptable par tous : vous ne faites pas de société sans
croyances communes. Les gens seront d’accord. Mais là où il fait question, c’est qu’il dit que ces
croyances doivent engager un rapport à une notion qui est l’infini. C’est une conception
anthropologique qu’il veut mettre au coeur de la République, et qui revient à affirmer qu’être un
homme, c’est éprouver une aspiration à quelque chose qui est de l’ordre de l’idéal ou même du
spirituel, ce qui n’est pas la même chose, et donc une aspiration à l’infini. Les hommes, de par
l’effondrement de l’alliance entre le Roi et l’Église, doivent s’organiser par eux-mêmes, sans le
secours de Dieu. Raison pour laquelle les premiers socialistes affirmeront qu’il faut rétablir un
esprit public, une spiritualité, une religion laïque, et Jaurès s’inscrit là-dedans. Il dit qu’il y a une
dissolution de la société parce qu’il y a une juxtaposition des individus et il y a une juxtaposition
des individus parce que nous ne sommes pas capables de produire de l’intérêt commun. Et pour
produire de l’intérêt commun, il faut qu’on puisse établir un rapport entre l’immanent et les
transcendant.
L. Ph. : Justement, on a dit « religion et politique », on a évoqué la figure de Marx par
opposition à celle de Jaurès qui écrit aussi que la vocation du socialisme, vous le citez dans le
livre que vous lui avez consacré, c’est « d’accomplir l’histoire de l’Europe chrétienne ». Or, on
peut voir dans les Manuscrits de 1844 que Marx- le-matérialiste se désespère à son tour d’un
monde dans lequel l’argent déshumanise l’homme, pour y opposer celui dans lequel les hommes
n’échangeraient que de l’amour. Or, est-ce qu’il n’y a pas chez Marx, dans cette espèce de
prophétie, comme un retour à une vision eschatologique et chrétienne de l’homme et, finalement,
de la société et de l’histoire ?
V.P. : J’ai été très influencé, dans ma lecture de Marx, par un auteur qui est trop oublié, qui
s’appelle Kostas Papaïoannou, qui a écrit un très beau livre qu’on ne trouve plus et qui devrait
être réédité, qui s’appelle La consécration de l’histoire, dans lequel il reprend une thèse qu’on a
trouvée chez d’autres mais qui a remarquablement été explicitée chez lui, dans laquelle il montre
qu’il y a chez Marx une sécularisation de l’histoire chrétienne. On a tous les éléments, une
doctrine du salut (sotériologie), une doctrine de la fin (eschatologie), une doctrine du mal, et
aussi une périodisation en quatre époques qui n’est pas sans rappeler la périodisation qu’on
trouve déjà dans les récits augustiniens. Donc, j’ai toujours considéré, même si je ne l’ai pas relu
depuis longtemps, que Marx était un très grand théologien classique et n’interrogeait pas notre
modernité, on va le dire comme ça, il ne l’ébranlait pas, en tout cas sur la question théologicopolitique.
C’était plutôt un penseur qui nous apprenait ce qui est solide, ce qui traverse le temps,
mais pas un de ces penseurs comme Nietzsche ou Stirner qui viennent, eux, mettre des coups de
boutoir et ouvrir des brèches. Donc, oui, je suis d’accord avec ce que vous dites. Pour moi, c’est
une évidence et cela me permet de rendre hommage à Papaïoannou.
L. Ph. : Bien. Parce que nous parlons de politique, il est temps, si vous le voulez bien, d’aborder
la question de l’action. Et puisque nous évoquions la figure de Marx, j’aimerais connaître votre
sentiment touchant la concurrence, dans la pensée politique moderne, de ces deux courants que
sont le réformisme et le révolutionnarisme. En France, on le voit bien au moment de la
Révolution, avec Robespierre et Condorcet, qui s’appuient sur deux représentations de l’histoire
tout à fait opposées, fractale pour Robespierre, continuiste pour Condorcet. Avant d’aller plus
loin, partagez-vous, oui ou non, ce préalable, à savoir que c’est bien notre idée de l’histoire et du
passé qui est engagée dans la question des moyens de l’action politique ?
V.P. : Vous avez raison, et je partage totalement ce que vous dites, et je vais le développer un
tout petit peu si vous m’y autorisez. Vous savez très bien que la Révolution inaugure
précisément le temps de l’histoire. Car avant, nous ne sommes pas dans le temps de l’histoire.
Les sciences historiques apparaissent au vrai au XIX siècle. Alors, est-ce qu’il y a bien deux
options ? Oui, il y a deux options. Il y a l’option de ceux qui pensent que, dans le fond, pour
s’engager dans l’avenir, il faut écrire son récit de mémoire et donc récupérer une tradition, que
c’est la tradition qui va au devant et qui ouvre l’avenir de façon démocratique, non violente. Et
puis il y a une autre lecture, qui est toujours présente, qui est celle de la brisure, de
l’accouchement de l’homme nouveau, de la société nouvelle, de l’enfantement par soi-même,
dans le temps, de quelque chose qui n’est pas temporel, une seconde naissance, un engendrement
de l’homme par lui-même et là, c’est extrêmement dangereux. Pourquoi est-ce extrêmement
dangereux ? Ma génération, puisqu’elle a commencé sur les décombres du nazisme et du
stalinisme, a pensé sur les décombres du rêve de l’homme nouveau, d’une société nouvelle. Tous
ces grands horizons historiques ont été des horizons totalitaires, d’écrasement, de meurtre de
l’homme. Si on allait un poil plus loin, on a été formé dans quelque chose qui est très étonnant et
qui, sous une autre forme, introduit une nouvelle discontinuité. Je vais aller très vite. Mort de
dieu avec Nietzsche. Apprentissage que les civilisations disparaissent avec Paul Valéry. Et,
quand nous commençons à réfléchir, la mode, c’est la mort de l’homme, avec Michel Foucault.
Nous sommes ainsi une génération qui doit constituer sa propre présence historique, non
seulement à partir d’un certain nombre de deuils qu’on lui impose, deuil de Dieu, deuil de
l’homme, deuil des civilisations, mais c’est pire que ça : en réalité, il y a un coup de force
historique qui est celui de la discontinuité. Que signifie de dire « l’effacement du sujet », même
si derrière il y a l’idée que c’est une certaine figure de l’homme qui va s’effacer ? Car quand
même ! la formule, elle, n’est pas neutre : c’est la mort de l’homme ! Donc, nous arrivons dans le
post-humain, qui est une discontinuité formidable. Et je suis très frappé de voir que, dans le fond,
la génération post-structuraliste est une génération qui, philosophiquement, a voulu redécouvrir
l’homme au sens de l’humanitarisme. Notre génération a été profondément blessée, attaquée et a
dû se construire des défenses qu’elle a trouvé, précisément, en renouant avec une certaine
tradition humaniste et même humanitaire.
Le Ph. : Je voudrais revenir, si vous en êtes d’accord, à Marx et à Jaurès. Pourquoi ? Parce qu’on
voit bien que l’histoire de la modernité est celle d’un débat parfois extrêmement véhément,
autour de la question de la légitimité de la violence dans la transformation des sociétés humaines.
Au fond, est-ce que cette question de savoir s’il faut ou non détruire pour reconstruire, n’est pas
la grande affaire de la politique moderne et la grande affaire de l’histoire de l’Europe ? La
modernité n’est-elle pas, en un sens, l’histoire d’une tension récurrente et polymorphe entre les
courants révolutionnaires et les courants réformistes ?
V.P. : D’abord, et parce que les deux sujets ne sont pas séparés, je voudrais juste finir sur ce
qu’on était en train de dire. La génération qui revient sur la mort de l’homme, décentré, véhiculé
par son inconscient, désapproprié de lui-même, est obligée de le faire en intégrant toutes ces
critiques par rapport à un humanisme de plein droit qui avait échoué puisqu’il avait conduit à la
solution finale et au nazisme. Donc, il ne nous avait pas prémunis, tout en nous racontant que
l’homme est merveilleux, d’une réalité historique qui dit exactement le contraire. Car le fond de
l’affaire, c’est le mal. Et donc on revient à la question de la violence. Je pense que la grande
affaire, pour les philosophes, qui continuent à être décalés de la réalité du politique en tant que
tel, c’est de mesurer à quel point on ne fait pas de l’humanité avec des anges et des bonnes
intentions – c’est toujours le vieux débat -, et donc d’accepter ce que mon maître Merleau-Ponty
appelait les vraies larmes et le vrai sang, qui sont quand même la matière de l’histoire. L’histoire
est tragique, et elle l’a toujours été.
L. Ph. : Vous allez me trouver insistant, mais dans le livre que vous avez publié l’année dernière,
consacré à la Révolution française, vous montrez très clairement à quel point Jaurès est éloigné
de Marx qui ne voit dans la révolution de 1848 qu’une parodie. Convaincus que la révolution
prolétarienne ne peut se faire, dites-vous, avec la bourgeoisie mais contre elle, les marxistes ne
sont-ils pas condamné à tourner en dérision, non seulement l’espoir de fraternité que fait naître la
Révolution de 48, mais l’idée même d’une République démocratique ?
V.P. : Là, je comprends mieux où vous voulez en venir…Et c’est sans doute un sujet essentiel
parce que ça m’a permis de montrer la connivence entre le marxisme et, d’une certaine façon, le
libéralisme. Qu’est-ce que j’ai voulu montrer ? j’ai voulu montré qu’il y avait une révolution
oubliée, la révolution de 48, qui est précisément le moment fraternitaire de la Révolution, c’està-
dire le moment où la tension entre liberté et égalité doit être dépassée par le recours à une
troisième notion, extrêmement complexe, et qui est la notion de fraternité. Cette révolution de 48
est non seulement absolument refusée par Marx, avec la violence que vous indiquez, mais aussi
par Tocqueville. Or, qui a été évacué du champ de l’histoire dans la République française ? Ce
sont les républicains. Et donc nous avons eu la République sans les républicains, comme l’ont dit
les républicains de principe, Louis Blanc, Edgar Quinet. C’est cela qui est fascinant pour notre
génération, puisqu’on nous a expliqués qu’il y avait deux pensées politiques dominantes et qu’il
fallait choisir entre les deux. Soit vous êtes socialiste au sens de Marx, soit vous êtes libéral au
sens de Tocqueville. Or, on peut être d’abord et essentiellement républicain, et là il y a toute une
tradition de pensée qui a été effectivement occultée.
L. Ph. : Pour le coup, je pense que je vais vous donner raison en vous posant la question
suivante, question en deux temps et peut-être provocatrice. Premièrement, est-ce que l’histoire
de la Gauche n’est pas, depuis plus de deux siècles, l’histoire d’une sempiternelle
incompatibilité entre ces deux conceptions de l’action politique et du progrès social ?
Deuxièmement, n’est-ce pas, en vérité, cette histoire-là, en dépit d’un certain nombre de thèses
néo-libérales, donc l’histoire de la Gauche, qui définit la modernité ?
V.P. : Moi, ce que j’ai pensé, et je suis content de voir que d’autres le pensent aussi, c’est qu’on
ne pourrait retrouver pied dans l’histoire, et écrire notre propre récit historique, je pense que
chaque génération a à le faire, que si on était capable de revenir sur cet oubli dont on parlait à
l’instant. Et j’ai été, de fait, comme d’autres chercheurs ou philosophes de ma génération, très
frappé de découvrir des textes interdits alors qu’ils sont fondamentaux, une histoire interdite en
fait. Voyez le texte de Jaurès que vous citiez tout à l’heure, qui était une stupéfaction pour les
gens aliénés à une vulgate qui excluait rigoureusement qu’un tel texte soit possible ! Alors, estce
que ça organise la vie de la Gauche française depuis longtemps ? Oui, clairement. Je ne sais
pas depuis quand, je ne pense pas depuis deux siècles. Car j’essaie, moi, de marquer que la
césure, la brisure, l’oubli, s’organisent en gros à partir de 1905, sur ce que j’appelle la « défaite
de Jaurès ». Là où on croit qu’il y a victoire de Jaurès, par l’unité de la S.F.I.O., il y a défaite de
Jaurès.
L. Ph. : Revenons ici au début de votre livre sur Pierre Leroux. Vous y rappelez, en effet, que
l’opposition entre Marx et Jaurès est ce qui permet de comprendre le désaccord qui se fait jour,
dans les années soixante, entre Sartre et Garaudy d’un côté, Maurice Merleau-Ponty de l’autre.
0r, à partir de là, on peut comprendre, me semble-t-il, ce qui oppose, depuis, les communistes et
les socialistes. Dès lors, l’idée d’un « programme commun de la Gauche » en 1974, ou encore
d’un « front », d’un centre de résistance à la mondialisation, en 2003 avec le N.P.S., ou encore
anti-libéral, a-t-elle encore du sens ?
V.P. : Là aussi, il y a plusieurs questions. Je pense, d’abord, que les socialistes français, de puis
la S.F.I.O., ont toujours fait le choix de ne pas être eux-mêmes, et que c’est la grande affaire du
Parti Socialiste. Parce qu’ils ont toujours dans le fond choisi de plier devant la doctrine
allemande et marxiste. Ils ont donc fait perdre historiquement les Mendès, les Meyer, Blum, etc.
Mais ensuite, ils se sont égarés eux-mêmes, jusqu’à l’épuisement. Je pense, de fait, que le
socialisme français ne pourra revenir aux responsabilités que lorsqu’il aura repris sa matrice
républicaine, et que cela suppose de réécrire son histoire. Mais si des gens, je ne m’éloigne pas
de votre question, pensent que nous sommes des anti-libéraux et que la pensée de Gauche de
demain est une pensée anti-libérale, alors ce sont des fous furieux. Car nous sommes LES
libéraux. C’est nous les libéraux, depuis la Révolution française. Et quand j’ai travaillé sur
Leroux, c’est ce que j’ai voulu montrer aux socialistes, notamment à partir de l’article dans
lequel Leroux présente la naissance du socialisme républicain comme l’accomplissement du
libéralisme. Le socialisme n’est donc pas une rupture avec le libéralisme. Il est un libéralisme
accompli. Troisièmement, comment être communiste aujourd’hui ? Ce n’est plus possible, c’est
fini. Moi, je suis fils de communiste. J’ai été élevé dans le rêve communiste, qui s’effondrait
déjà, certes, mais dans cette formidable aspiration qui a poussé, après la Seconde guerre
mondiale, les intellectuels français, des millions de personnes à adhérer à cet idéal communiste
transnational qui s’est, depuis, effondré. Tout cela n’a plus de sens. Les communistes ont donc
une interrogation qu’ils ne veulent pas poser mais qui est tout de même dans les urnes. Ce qui
leur permettait de justifier leur existence en tant que parti séparé n’existe plus. De ce point de
vue-là, quand on prend l’histoire de la Gauche, je pense que nous sommes confrontés à la
nécessité de rebattre les cartes des partis. Et d’ailleurs je crois qu’on ne s’en sortira pas si on ne
le fait pas.
Le Ph. : Une question peut-être un peu malicieuse. L’opposition entre Marx et Jaurès, entre
Sartre et Merleau-Ponty, bref entre les partisans de la révolution anti-capitaliste et ceux de la
réforme, n’a-t-elle pas, après la chute du Mur de Berlin, migré, en France, à l’intérieur même du
Parti Socialiste ? Et est-ce que les scores obtenus par le P.S., à l’occasion des dernières
échéances électorales, ne reflètent pas précisément cette difficulté d’élaborer une doctrine et un
programme qui puissent exprimer de façon audible et cohérente l’existence de ces différents
courants ?
V. P. : Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites ou supposez. La dernière élection
présidentielle a, en effet, montré < 20% pour Dominique Strauss-Kahn, 60 % pour Ségolène
Royal, Je mets les 20 % pour Laurent Fabius à côté > que le Parti Socialiste avait accompli sa
mue réformiste. Le problème, c’est qu’il ne la théorise pas. Et ce qui est certain, par-delà l’échec
de la candidate socialiste, c’est que ce parti, devenu relativement morbide, et tuant ses propres
enfants en permanence, a permis l’élection de cette femme dans un contexte démocratique, mais
qu’il l’a ensuite complètement mise sous contrainte. On a, par exemple, imposé à Ségolène
Royal de porter, dans la campagne, des propositions qui n’étaient pas les siennes. Cela n’existe
pas, quand même, dans une présidentielle. Obama fait son programme. Sarkozy fait son
programme. Là, nous avons désigné Ségolène Royal, démocratiquement, mais nous lui avons dit
quand elle a été désignée : « voilà, il y a un projet ; tu dois le porter ». Et dans ce projet, il y avait
des propositions, par exemple le S.M.I.C. à 1500 euros, qu’elle a été obligée, sous contrainte, de
porter alors que chacun sait qu’une telle mesure provoquerait des ruptures économiques
profondes dommageables en premier lieu pour la classe ouvrière. Premier facteur donc, qui serait
à porter au crédit de la candidate, facteur qui l’excuse, si on peut dire. Mais il y a un second
facteur, comme vous le dites, qui est un facteur fondamental, et je suis davantage en accord avec
vous ici, qui se cache derrière cette affaire conjoncturelle dont nous parlons, qui est qu’elle n’a
pas eu la force nécessaire d’imposer un projet cohérent et d’avoir une ligne puisque nous voyons
bien dans ses expressions, et là je vois un problème de fond de la Gauche française, qu’il y une
hésitation entre le réformisme et la Révolution chez Ségolène Royal. De temps en temps, elle
nous fait des déclarations révolutionnaires et de temps en temps elle nous fait des déclarations
centristes molles. J’ajouterai, et ça c’est la dernière chose, qu’elle a voulu un spectre très large.
C’est ce que j’appelle, d’une certaine façon, la mauvaise conscience de la Gauche, dont elle ne se
débarrasse pas, et qui est qu’en permanence on veut donner des gages à des gens qui existent
dans le paysage politique français, mais qui existent à 2, 3 ou 5 % des intentions de vote selon les
périodes, et qui sont ceux qui n’ont pas liquidé la dialectique révolutionnaire. Parce que s’il y a
une extrême-droite folle, il y a une extrême-gauche folle. Et paradoxalement, la Gauche
française, qui croit qu’elle a toujours à prendre en charge la dimension d’utopie ou de rupture,
est incapable d’opérer sa rupture avec ces gens qui, systématiquement d’ailleurs, vont <vous le
dites implicitement> la faire perdre…C’est le fait de vouloir prendre en charge ceux-là qui
conduit la Gauche en position de ne pas pouvoir gouverner.
L. Ph. : Dans un monde dans lequel un modèle économique s’impose, quelle place y a-t-il
encore pour un vrai débat politique ? Au fond, est-ce que la Gauche et le Parti Socialiste ne font
pas les frais, à travers leur incapacité d’élaborer un projet politique alternatif qui soit cohérent, de
ce qui pourrait être un déclin du politique ?
V.P. : C’est une vision sombre de l’histoire que la vôtre mais qui n’est pas la mienne. Je reviens
à mon histoire d’offre politique de tout à l’heure. Je pense qu’il est quand même paradoxal qu’à
un moment où la crise financière fait qu’on s’interroge sur les excès d’un certain libéralisme, et
que les gens sont plutôt à la recherche d’un mode de développement et de croissance, qui soit un
mode dans lequel la question démocratique, la question de l’éducation, sont prioritaires, on
puisse douter que la pensée socialiste soit de la plus grande actualité ! Comme il est clair que les
grandes avancées sociales et démocratiques ont toujours été l’oeuvre de la Gauche. Est donc tout
à fait saisissant ce contre-pied historique, qui fait que le vrai problème, c’est que la Gauche ne
formule pas ses idées. Elle est devenue incroyablement silencieuse sur le plan intellectuel. Je
crois d’ailleurs que la crise de la Gauche est une crise intellectuelle,
Le Ph. : Oui, tout à fait. D’ailleurs, si Nicolas Sarkozy a pu s’approprier la mémoire d’un certain
nombre d’hommes politiques, ou réinvestir certaines valeurs, comme celle du travail, qui est au
coeur de la réflexion de Marx, c’est sans doute parce que ces personnages, ces valeurs, ont été
ignorées par un certain discours de gauche.
V.P. : Je suis d’accord.
Le Ph. : Une dernière question, parce que le temps passe. Nous le disions au tout début de cet
entretien. Vous êtres philosophe et homme politique. Alors dites, entre Socrate et les sophistes,
est-ce que c’est facile tous les jours ?
V.P. : Il y a un retour permanent à Socrate, vous savez, dans la leçon inaugurale de Merleau-
Ponty au Collège de France, intitulée Eloge de la philosophie. Je dis très souvent à mes amis et
collègues professeurs de philosophie : « vous ne mesurez pas à quel point, dans le fond, vous
êtes des politiques. Les politiques, eux, sont assez souvent peu politiques, mais c’est parce qu’ils
sont peu philosophes. J’ai donc cette vision-là, d’avoir quitté la salle de cours sans l’avoir
quittée, par une série d’accidents mais où il y avait une continuité absolue entre faire de la
philosophie, qui est pour moi une action politique au sens noble du terme, puisqu’elle est née
dans cette Cité grecque, dans laquelle la rationalité naissante implique le dialogue, l’autre, le
débat, et m’engager en politique. Plus j’avance en âge, plus je suis convaincu que la politique
n’appartient pas aux hommes et aux femmes qui font profession d’être des politiques. Eux
peuvent faire des carrières, ils peuvent gérer utilement des collectivités locales. Mais quand vous
prenez l’histoire, la vraie, celle des avènements, ou celle des moments où les principes sont en
jeu (l’affaire Dreyfus, l’Occupation, le colonialisme), les hommes qui font l’histoire ne sont pas
souvent les hommes politiques. Je ne voudrais pas être désobligeant mais ce ne sont pas toujours
les plus courageux dans ces périodes-là. Par contre le boulanger, le cheminot, le prof de philo,
l’infirmière, l’éducateur sportif, le journaliste, tout d’un coup se lèvent et disent « non ! ». Donc
la politique n’appartient pas aux professionnels de la politique, et c’est ce que nous avons à
enseigner à nos élèves, et que nous leur avons toujours enseigné. Elle appartient aux citoyens.
Alors, les sophistes, oui, j’en fréquente beaucoup en politique mais j’en fréquentais déjà
beaucoup avant. Mais je crois de plus en plus à la vertu politique du philosophe, à la vertu
politique de Socrate, dans un sens non platonicien. Certes il y a conflit entre le philosophe et le
sophiste. Mais il y a aussi un conflit entre Socrate et Platon, c’est-à-dire un Socrate qui interroge,
qui ne sait pas, qui est en mouvement et qui va finir par boire la ciguë, et un Platon qui, par
contre, a une doctrine, le platonisme, apporte des réponses et conseille le tyran Denis de
Syracuse. Socrate et Platon constituent deux options philosophiques radicalement différentes.
Alors, finalement, qu’est-ce que nous avons voulu faire, les philosophes républicains Français, et
ceux qui essaient de maintenir vivante cette tradition, que ce soit dans la salle de classe ou
dehors ? C’est dans le fond, par l’exemplarité, de faire que nos élèves, donc les citoyens, soient
un peu des petits Socrate républicains. On voudrait envoyer dans la Cité, quand on sort de notre
salle de cours, des tas de petits Socrate qui interrogeraient, qui inquiéteraient, qui engourdiraient
ceux qui ont des certitudes. Et ça, c’est un idéal fantastique, et pour le coup, cela protège la
démocratie, cela protège les humiliés, les offensés. Je crois beaucoup à cela, à ce fil secret qui
court dans l’histoire et contribue à la façonner.
Le Ph. : Merci, Monsieur Peillon.